
Un espace-temps de rencontre, d’expérimentation, d’expression et de liberté artistique
Ce laboratoire de performance initié et organisé par Annabel Guérédrat et Henri Tauliaut existe depuis bientôt 3 ans. Six sessions par ans sont mises en place pour réunir les artistes qui ont un projet de performance à réaliser. Le groupe de performeurs se retrouve pour échanger sur ses expériences et projets. Chacun apporte de l’aide et des conseils pour mener à bien et mettre en valeur les oeuvres de l’autre.
Laboperf Landarts, la puissance saisissante de l’instant
À cette occasion, Alicja Korek, Novas alias Ludgi Savon, Jérémie Priam, Annabel Guérédrat, Henri Tauliaut, Stéphanie Destin et moi-même étions sur place pour cette séance un peu particulière car nous avons vécu là un moment assez extraordinaire : « Une journée inspirante. Une véritable passerelle du réel à l’extraordinaire », d’après Alicja Korek. D’autres artistes ou passionnés d’art comme Ange Bonello, Marvin Fabien, Ana Monteiro, Glwadys Gambie, Lili Lola, Eléna-Lou Arnoux, Edu Monteiro, Daniel Rumeau et d’autres encore ont déjà participé aux sessions et réalisé des oeuvres dont les images encore présentes sur ce lien évoquent la puissance saisissante de ces instants.
Être acteur et non spectateur
Les organisateurs accueillent ceux qui souhaitent réaliser une œuvre performée, personne ne doit être spectateur. Chaque individu est là pour être acteur de cette journée et pour avancer sur son schéma réflectif. Toute une construction artistique autour du corps, des références cinématographiques, historiques, mythologiques, écologiques, astrales, spirituelles d’ici et d’ailleurs se côtoient dans le plus profond respect. Il faut avoir un esprit ouvert, rester à l’écoute, être sensible pour ressentir les variations et énergies des vagues, des feuillages, des couleurs, des odeurs, des personnes qui nous entourent et de l’inspiration qui nous traverse à cet instant.
Laisser la place au lâcher prise
N’ayant pas fait de performance depuis 7 ans (en voici deux pour exemples : "Créer c'est résister" Performance - Séisme Haïti - 12 janvier 2010 , Interlude sur la folie - CCA à Fort de France 2010 - devant des professeurs et institutionnels du monde de l'art ), je laissais mon esprit vagabonder à l’improvisation. Ayant une parfaite confiance quant à la bienveillance des participants que je connais bien, je me laisse guider par mes actes dans un lâcher prise total puisque nous sommes actuellement de plus en plus contenus à une société taboue où l’imaginaire se stérilise de plus en plus comme les rapports humains. Ici à Laboperf Landarts 14#, nous pouvons être nous-mêmes, nous pouvons être libres.
La séance
Annabel invite les participants à une séance de body-mind centering®. Les yeux bandés, allongés dans la forêt magique de la plage des pétrifications à Sainte-Anne en Martinique, nous nous détendons sur le sol sablonneux et nous écoutons la voix calme et fluette d’Annabel qui nous guide mot par mot, sensation par sensation.
Elle nous fait prendre conscience de chaque particule de notre corps, de notre respiration. Elle nous invite à un voyage dans le temps et l’espace, de l'infiniment grand à l’infiniment petit, jusque dans le ventre de notre mère. Puis nous suivons sa voix, jusqu’à la mer où nous plongeons pour traverser dans le monde de la création comme un Torii. Je me suis laissée porter et j’y ai vu une part de mon intimité, qui, avec le temps, s’est assagie…
Le devoir de mémoire avec Munkam Afcam
Alors que nous étions dans l’eau et que nous évoquions nos impressions ; au bout de la plage sur les hauteurs hommes et femmes munis d’aliments et d’objets s’avançaient vers la mer pour exécuter un rituel sur la mémoire des anciens morts esclaves durant les traversés en bateaux entre 1670 et 1864. Ces hommes et femmes qui n’ont pas survécu aux traversées... Nous les regardions comme hypnotisés par leurs incantations. Des offrandes et des chants étaient réalisés sous nos yeux. Après cette séance, le groupe put parler avec les protagonistes et comprendre leur démarche profondément touchante et importante pour saluer les anciens et se souvenir d’un passage douloureux de l’histoire.
L’heure du déjeuner
À l’heure du déjeuner, chacun évoque son projet, des petits groupes de travail se forment autour d’un poulet Boukané, de pâtés morues, des légumes, des fruits… C’est convivial et simple, un petit bonheur d’un dimanche pas comme les autres. Chacun trouve le lieu idéal et le travail commence dans la concentration et le calme bouillonnant...
Le laboratoire performatif commence

Jérémie Priam, plasticien et graphiste, a préparé des moules et des objets en silicone. Il réalisera un travail sur le land art, la vanité. Il retranscrit là ses tripes en mettant en composition ses objets et la nature environnante avec maîtrise, patience et subtilité. Avec son moule de crâne, il exécute une sérialité de sculptures éphémères dans le sable qui progressivement sont balayées par les vagues. J’espère avoir un jour la primeur d’entrer plus dans son art pour en extirper les mots justes.

Novas, plasticien, quant à lui, performe dans la forêt. Découvrez un article qui évoque précisément sa pratique : “Novas ou le combattant animiste”.

Henri Tauliaut, plasticien et professeur au CCA à Fort de France, demanda à tout le monde de participer à sa performance intitulée “The ritual bath of the flying man”. Il avait tracé un cercle ; au centre de celui-ci, une caméra 360° ; de part et d’autre du cercle, des préservatifs remplis de produits de différentes substances et couleurs. Il se positionna au centre ; nous devions lancer sur lui les préservatifs remplis qui éclataient au contact du corps d’Henri. Ce travail est une évolution d’une installation intitulée “Empowerment” qu’il présenta au Fonds d’Art Contemporain en Guadeloupe en 2018. La trace vidéo récupérée par la camera 360°, aprés traitement sous forme de tiny planet, sera certainement utilisé dans le cadre de l'installation "Archipélago". Henri Tauliaut, tout comme Annabel, expose et performe sur la scène internationale depuis la Muraille de Chine, jusqu’à Cuba, au Chili, en Afrique, aux Etats Unis ou en Caraïbe... Il évoque à travers son art, une réflexion sur notre rapport aux nouvelles technologies et à la biologie, à l’affranchissement de l’art dit “académique” et des codes des dominants.

Annabel Guérédrat, artiste performeuse & danseuse chorégraphe, a exécuté une performance en plusieurs volumes : "Ensargasse-moi#5" : “c'est un rituel éco-féministe où je fais l'amour avec la sargasse, où je me mets à nu in situ dans la nature pour l'honorer et honorer mon corps de femme; parfois j'utilise en plus des sargasses présentes sur place, d'autres ingrédients participants à mon rituel de femme : de la farine, du gros sel, du lait (concentré non sucré), pour honorer les miens et me créer un halo de protection”. Annabel dégage une aura particulière, elle rayonne, elle inscrit sa sensibilité et sa créativité au service de l’art. Ses engagements sont forts. Elle n’a pas peur de se mettre à nu, d’engager son corps à vif, tout entier dans sa recherche pour évoquer les tabous avec intransigeance. Elle ne fait pas la chose à moitié. Elle n’a pas peur des réactions du public. Bien au contraire, elle souhaite provoquer, déclencher chez l’autre une réaction pour faire avancer les mentalités, retourner les cerveaux, casser les codes, revenir à la source, se rappeler des anciens…

Alicja Korek, avec sa performance, « Je suis parce que je rêve » : “ performance hommage au cinéaste canadien Jean-Claude Lauzon. Le rêve nous permet de transformer la réalité, et la réalité même devient un rêve.“ Alicja, est une découverte. Ses transformations sont terribles. Elle réalise des compositions photographiques parfaitement ordonnancées où le rouge sang et le bleu vif se côtoient. Chaque élément, objet ou costume ont des symboliques désinvoltes, crues et parfois étranges. D’autres fois le message est parfaitement clair ; par exemple, dans le duo performance avec Annabel Guérédrat “CHANTIER INTERDIT AU PUBLIC” : “ J'ai quitté la Pologne, mon pays d'origine à 24 ans, fraîchement diplômée en littérature française. Après avoir vécu et travaillé en tant que chargée de projets culturels en Espagne, en Angleterre, en Argentine et en France, je me suis installée en Martinique en 2016, où j'ai rencontré un couple d'artistes fabuleux, Annabel Guérédrat et Henri Tauliaut, interprètes et directeurs du Festival International d'Art Performance en Martinique (#FIAP17 Martinique). Ce fut une rencontre très spéciale et ça m'a permis de rejoindre le laboratoire de pratique de performance tenu par Annabel et Henri. Depuis 2016, je joue en Martinique, seule ou avec d'autres artistes, abordant différents thèmes tels que la condition féminine, le féminisme, le corps féminin, l'écologie ainsi que les relations entre le corps et la nature.”

Quant à moi, j’ai eu la chance de venir ce jour-là et de réaliser aussi une performance totalement improvisée avec l’aide bienveillante de Novas, Stéphanie Destin et de Jérémie Priam. On me prêta une combinaison rouge, je mettais une chemise d’homme bleu clair et j’y ajoutais un tissu multicolore sur la tête, je demandais à mes collègues de placer des feuilles autour de mon col. Je pensais incarner un médecin chamane. À ce moment précis, je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire. Ce que je savais, c’est que je devais le faire. Je pris la position de “Pantalon” de la commedia dell’Arte, puis très rapidement celui-ci se transforma et courut ventre à terre comme pourchassé par quelque chose. Je laissais ce personnage agir. Celui-ci alla se cacher dans la mer. Puis en sortant de l’eau, un autre personnage suffoquant, tel un rescapé d’un naufrage datant de 1684 surgissait, ce personnage sauf, s’avançait péniblement, les poumons lourds comme chargés de goudron, affaibli, luttant mais vivant.
Je remercie l’équipe de Laboperf Landarts 14# qui me fit voyager au-delà de la plage des pétrifications, au-delà d’un rêve, dans un non-lieu où le temps fut comme suspendu.
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